jeudi 26 janvier 2017

Du discernement des esprits en tant que vertu acquise par le travail et l'industrie


La confession (Molteni Giuseppe) Source



Extrait de "Le discernement des esprits" du P. Jean-Baptiste Scaramelli :




DU DISCERNEMENT DES ESPRITS EN TANT QUE VERTU ACQUISE PAR LE TRAVAIL ET L'INDUSTRIE, ET COMBIEN LES DIRECTEURS DES ÂMES SONT OBLIGÉS DE L'ACQUÉRIR



J'ai dit que les histoires sacrées sont remplies d'exemples de personnes qui ont reçu le pouvoir de pénétrer par le regard de l'esprit dans les consciences, afin d'y découvrir les mouvements occultes, ou qui, du moins, ont reçu du Saint-Esprit une lumière extraordinaire pour porter un jugement droit sur ces mouvements cachés. Mais le nombre de ceux qui ont reçu ce don est bien restreint si on le compare au nombre de ceux qui par devoirs d'état sont obligés de discerner la qualité des esprits. Parmi ces derniers sont les pères spirituels et les directeurs qui assument la charge de diriger les âmes dans la voie du salut et de la perfection. La plupart ne peuvent exercer sûrement leur charge s'ils ne savent pas bien distinguer le principe d'où procèdent les pensées et les affections de ceux qu'ils dirigent, puisqu'il n'y a pas pour la plupart d'entre eux d'autres manières de savoir si ces pensées et ces affections sont bonnes ou mauvaises. Il faut donc que, pour suppléer au rare discernement infus, il y ait un discernement commun à tous: car tous les confesseurs doivent diriger les Âmes. C'est de ce discernement commun que nous parlerons à l'avenir. Nous enseignerons aux directeurs des âmes la manière de l'acquérir.
Le discernement des esprits acquis par l'industrie consiste dans un jugement droit que nous formons sur l'esprit des autres en nous conformant aux règles et aux préceptes que nous fournissent les Saintes Écritures, la sainte Église, les Pères, les Docteurs, l'expérience des Saints et les lumières de notre propre sagesse. Il n'y a pas lieu de douter que chacun ne puisse se procurer un pareil discernement ; car les Saintes Écritures l'insinuent clairement. Le disciple bien-aimé nous avertit de ne pas croire aux esprits sans éprouver auparavant s'ils sont de Dieu : Ne croyez point à tout esprit ; mais éprouvez les esprits ; mais éprouvez les esprits s'ils sont de Dieu (1 Jean IV, 1). L'apôtre S. Paul nous exhorte à ne pas marcher en aveugles, mais à éprouver toutes les choses, à embrasser seulement celles qui à l'épreuve se montrent bonnes, et à rejeter celles que l'on reconnaît mauvaises : Éprouvez tout : retenez ce qui est bon. Abstenez-vous de toute apparence de mal (1 Thess. V, 21-22). Ces épreuves dont nous parlent tant les Saintes Écritures ne sont autre chose que des examens sérieux de nos actions, faits conformément aux préceptes et aux règles puisées aux sources des Saintes Écritures. Il est certain que le discernement infus n'a pas besoin d'épreuves si rigoureuses. À celui qui a le discernement par grâce gratuitement donnée, il suffit qu'il voie les opérations des autres ou qu'ils lui découvrent les mouvements de leur cœur pour qu'il puisse décider sur la qualité bonne ou mauvaise de leurs esprits ; parce que la lumière extraordinaire que Dieu lui a donnée supplée toutes les précautions humaines. Le Sauveur lui-même, après nous avoir dit : Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous sous des vêtements de brebis, tandis qu'au-dedans ce sont des loups ravissants, ajoute aussitôt : Vous les connaîtrez à leurs fruits (Matth. VII, 15-16), c'est-à-dire en examinant soigneusement leurs actions. Or cet examen ne peut se faire sans réfléchir si de telles œuvres concordent avec les règles de la justice et de la sainteté. J'ajoute que N.-S. Jésus-Christ ne donne pas seulement ce sage avertissement à quelques personnes éclairées d'une lumière extraordinaire ; il le donne à tous. Tous peuvent donc avoir un tel discernement, non pas, bien entendu, par don, puisque cela n'est le partage que d'un petit nombre, mais par l'art et l'industrie.
C'est ce qu'a voulu faire entendre Suarez, à l'endroit où, parlant du discernement des esprits, il dit : « On ne doit pas s'attendre qu'une grâce gratuitement donnée le sera toujours et pour chaque cas en particulier, car Dieu ne l'a pas promise à tous et ne la donne pas continuellement, mais seulement quand il le veut et à qui il veut ; et cependant chacun peut dans la pratique prononcer un jugement prudent avec une certitude morale et discerner les divers esprits, car Dieu ne refuse pas le secours suffisant si l'on fait avec sa grâce ce qui dépend de soi, et voilà pourquoi, quand il s'agit de discerner entre ces esprits non seulement ce qui est vrai ou faux, bon ou mauvais (chose moins difficile), mais encore ce qui est bon ou meilleur, sûr ou dangereux (chose plus ardue), les hommes instruits et spirituels donnent différentes règles que doivent avoir sous la main ceux qui instruisent et dirigent les autres. » Cet éminent docteur dit donc excellemment que, d'une part, nous sommes tous exhortés à éprouver les esprits, et, d'autre part, que le discernement des esprits gratuitement donné ne se confère pas à tous. Nous sommes donc tous exhortés à nous procurer par diligence humaine un discernement moralement certain pour distinguer non seulement le vrai ou le faux esprit, mais aussi le bon ou le mauvais, le bon ou le meilleur, le sûr ou le dangereux. Or cela s'obtient en suivant les règles que nous ont tracées les maîtres de la vie spirituelle. Ces règles sont fondées sur la Sainte Écriture, la tradition, la doctrine de la sainte Église catholique et des SS. Pères, l'exemple des saints et la droite raison éclairée de la lumière de la foi. C'est ce que nous avons exposé ci-dessus.
Il suit de là que le discernement dont nous parlions tout à l'heure et dont nous parlerons dans le cours de ce livre n'est pas un don, mais une vertu acquise par nos propres soins. Il s'ensuit encore que les jugements que cette vertu de discernement forme sur les esprits ne sont pas infaillibles ; car, bien que les règles et les enseignements donnés pour bien juger, tels que ceux qui sont pris des Saintes Écritures et des saints docteurs de l'Église, soient infaillibles, il n'est pas certain que lesdits enseignements soient justement appliqués dans les jugements. On peut dire au plus, avec Suarez, qu'ils ont une certitude morale et pratique en tant qu'ils sont fondés en raisons qui nous en montrent clairement la conformité avec lesdites règles, et que l'on ne pourrait sans témérité juger d'une manière contraire.

Que le directeur réfléchisse ici à l'obligation grave qu'il encourt en conscience de se procurer à tout prix un tel discernement des esprits, sans lequel il est impossible qu'il n'erre pas fréquemment dans la direction des âmes et non sans un grand préjudice pour elles. Que dirions-nous d'un homme qui se mettrait à guérir les malades sans avoir appris les règles par lesquelles on parvient à connaître les maux qui affligent le corps humain, et sans avoir acquis les notions par lesquelles on distingue les maladies et l'on applique à chacune le remède qui lui convient ? Ne dirions-nous pas qu'il est incapable d'exercer un tel ministère ; qu'il a été bien téméraire en l'entreprenant et qu'il pèche en l'exerçant ; car au lieu de guérir les malades, il se met en un danger évident de leur donner la mort. Cela revient précisément à notre cas. Un directeur qui n'a pas acquis un suffisant discernement des esprits ne peut connaître de quelle cause proviennent les impulsions et les mouvements du cœur, si c'est de Dieu, ou du démon, ou de notre nature dégénérée. Et c'est encore plus vrai si les mouvements intérieurs sont extraordinaires, comme il arrive souvent chez les personnes contemplatives. Le directeur qui manque des connaissances nécessaires est donc exposé à un péril manifeste d'approuver ce qui mérite le blâme, de blâmer ce qui est digne d'approbation, et de prescrire des règlements de vie étranges qui, au lieu de pousser les Âmes à la perfection, sont pour elles tout autant d'obstacles et, peut-être, les mettent sur le chemin de la perdition. Il suit de là qu'on ne peut exempter que quelque note de témérité et de quelque tache de péché quiconque se pose comme père spirituel des âmes sans avoir acquis les connaissances voulues et sans avoir le discernement des esprits, surtout s'il se met à confesser dans les monastères de religieuses, où il y a toujours beaucoup d'Âmes qui aspirent sérieusement à la perfection, parmi lesquelles il s'en trouve que Dieu conduit par les voies extraordinaires et qui ne peuvent conférer qu'avec lui des mouvements de leurs cœurs.
S. Thomas reconnaît deux ignorances peccamineuses dans l'homme. Il appelle l'une directe : c'est quand on veut expressément ne pas connaître ce qu'on est obligé de savoir. Il nomme l'autre indirecte, et c'est quand on néglige, soit, pour éviter la fatigue, soit pour se distraire en d'autres occupations, d'apprendre ce qu'on est tenu en conscience de savoir. Parlant de cette seconde ignorance, qui se rapporte à notre sujet, il conclut qu'elle n'excuse pas de péché. Donc l'on ne peut excuser de péché un confesseur qui ne s'efforce pas d'acquérir les lumières qui sont nécessaires pour un juste discernement des esprits ; parce que le devoir de son emploi et la charité l'y obligent, et qu'il s'expose au péril d'errer en matière de si grande importance.
Mais S. Augustin appuie plus directement notre proposition, quand il dit que manquer à la charité est toujours péché, qu'il soit possible ou non d'éviter ce manquement (supposant pourtant que le manquement présent est la suite d'une occasion coupable), parce que, dit-il, si le manquement peut s'éviter, la faute est dans la volonté présente. S'il ne peut s'éviter, elle est dans la volonté passée : « Il y a péché, lorsque la charité requise fait défaut, ou bien lorsqu'elle est moindre qu'il ne faudrait, soit que ce mal puisse être évité soit qu'il ne le puisse pas, car le péché est produit dans le premier cas par la volonté actuelle et dans le second par la volonté passée. » Donc, si un directeur erre au préjudice d'autrui, prenant un esprit mauvais pour bon, ou un bon pour mauvais, il pèche, bien qu'il n'ait pas la volonté de pécher. Il pèche, dis-je, non par la volonté qu'il a présentement, mais par celle qu'il a eue de ne pas s'instruire suffisamment avant de s'exposer à de tels examens. Et si le lecteur désire en avoir une autre raison, S. Jean Chrysostome la lui donne en disant qu'on ne peut exempter de faute, et peut-être de la damnation, celui qui ayant eu le moyen de trouver le vrai, n'a pas eu la volonté de le chercher. « Il est impossible d'excuser ceux qui sont damnés par ignorance de la vérité et qui auraient eu la facilité de la trouver, s'ils avaient eu la bonne volonté de la chercher, » par une étude proportionnée à l'importance de leur ministère. Afin donc qu'il n'arrive pas un si grand mal à aucun directeur des âmes, mais que chacun remplisse, exactement les obligations strictes de sa charge, j'expose dans le chapitre suivant les moyens par lesquels se peut acquérir ce discernement si nécessaire à la bonne conduite des âmes.







Reportez-vous à Discernement des esprits : ce qu'on entend par espritsOrdre de la vie spirituelle pour les Directeurs, par le R.-P. Jean-Joseph SurinDu bon Directeur, par le R.-P. Jean-Joseph SurinDe la conduite des âmes, par le R.-P. Jean-Joseph SurinCatéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, par le R.P. Jean-Joseph Surin, La protection des saints Anges contre les démons, particulièrement au sujet de leurs différentes tentations, Le roi de la Cité du Mal, Les princes de la Cité du Mal, Histoire religieuse des deux cités, Satan veut déformer l'homme afin d'effacer en lui l'image de Dieu, Degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir, La communication de Satan avec l'homme, Méditation sur le discernement des bons et des mauvais exemples, Les répliques du Démon, Comment le Diable trouble notre paix intérieure, Les embûches du Démon, Accueillir le Saint Esprit de Dieu, La puissance des démons réglée par la sagesse divine, Méditation transcendantale, hypnose et forces démoniaques, Médiums et faux exorcistes : disciples de Satan, Les pièges du Diable, Les apparences que peuvent prendre les démons, Kit de survie des victimes du Diable, Interprétation des rêves : mise en garde, Méditation pour le Mardi après la Pentecôte : Jour d'inspiration, Dévotion aux saints anges : les perfections admirables de ces sublimes intelligences, Qu'il ne sorte aucun mauvais discours de votre bouche, Phénomènes possibles en cas de possession démoniaque et signes de délivrance, Transport aérien des corps, voyages des âmes, pérégrinations animiques et bilocations, Jésus maudit ce que le monde estime et Sainte Thérèse d'Avila et le combat spirituel.