mardi 23 juin 2015

Les saints et le combat spirituel : Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face


Les Manuscrits autobiographiques de Sainte Thérèse de Lisieux, Extrait :



« Je me souviens d'un rêve que j'ai dû faire vers cet âge (4 ans) et qui s'est profondément gravé dans mon imagination. Une nuit, j'ai rêvé que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrivée au bas des marches qu'il fallait monter pour y arriver, je m'arrêtai saisie d'effroi. Devant moi, auprès de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce baril deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilité surprenante malgré des fers à repasser qu'ils avaient aux pieds ; tout à coup ils jetèrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au même moment, paraissant bien plus effrayés que moi, ils se précipitèrent au bas du baril et allèrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce qu'ils allaient faire et je m'approchai de la fenêtre. Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils s'approchaient de la fenêtre, regardant d'un air inquiet si j'étais encore là et me voyant toujours, ils recommençaient à courir comme des désespérés. Sans doute ce rêve n'a rien d'extraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je m'en rappelle, afin de me prouver qu'une âme en état de grâce n'a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d'un enfant... »

« Il se trouve dans la communauté une sœur qui a le talent de me déplaire en toutes choses, ses manières, ses paroles, son caractère me semblaient très désagréables, cependant c'est une sainte religieuse qui doit être très agréable au Bon Dieu, aussi ne voulant pas céder à l'antipathie naturelle que j'éprouvais, je me suis dit que la charité ne devait pas consister dans les sentiments, mais dans les œuvres ; alors / je me suis appliquée à faire pour cette sœur ce que j'aurais fait pour la personne que j'aime le plus. À chaque fois que je la rencontrais, je priais le Bon Dieu pour elle, lui offrant toutes ses vertus et ses mérites. Je sentais bien que cela faisait plaisir à Jésus, car il n'est pas d'artiste qui n'aime à recevoir des louanges de ses œuvres et Jésus l'Artiste des âmes est heureux lorsqu'on ne s'arrête pas à l'extérieur, mais que pénétrant jusqu'au sanctuaire intime qu'il s'est choisi pour demeure, on en admire la beauté.
Je ne me contentais pas de prier beaucoup pour la sœur qui me donnait tant de combats, je tâchais de lui rendre tous les services possibles et quand j'avais la tentation de lui répondre d'une façon désagréable, je me contentais de lui faire mon plus aimable sourire et je tâchais de détourner la conversation, car il est dit dans l'Imitation : Il vaut mieux laisser chacun dans son sentiment que de s'arrêter à contester.
Souvent aussi, lorsque je n'étais pas à la récréation (je veux dire pendant les heures de travail), ayant quelques rapports d'emploi avec cette sœur, lorsque mes combats étaient trop violents, je m'enfuyais comme un déserteur. Comme elle ignorait absolument ce que je sentais pour elle, jamais elle n'a soupçonné les motifs de ma conduite et demeure persuadée que son caractère m'est agréable. Un jour à la récréation, elle me dit à peu près ces paroles d'un air très content : “Voudriez-vous me dire, ma Ste Thérèse de l'Enfant Jésus, ce qui vous attire tant vers moi, à chaque fois que vous me regardez, je vous vois sourire ?” Ah ! ce qui m'attirait, c'était Jésus caché au fond de son âme... Jésus qui rend doux ce qu'il y a de plus amer... Je lui répondis que je souriais parce que j'étais contente de la voir (bien entendu je n'ajoutai pas que c'était au point de vue spirituel).
Ma Mère bien-aimée, je vous l'ai dit, mon dernier moyen de ne pas être vaincue dans les combats, c'est la désertion, ce moyen je l'employais déjà pendant mon noviciat, il m'a toujours parfaitement réussi. Je veux ma Mère, vous en citer un exemple qui je crois vous fera sourire. Pendant une de vos bronchites, je vins un matin tout doucement remettre chez vous les clefs de la grille de communion, car j'étais sacristine ; au fond je n'étais pas fâchée d'avoir cette occasion de vous voir, j'en étais même très contente, mais je me gardais bien de le faire paraître ; une sœur, animée d'un saint zèle et qui cependant m'aimait beaucoup, me voyant entrer chez vous, ma Mère, crut que j'allais vous réveiller, elle voulut me prendre les clefs, mais j'étais trop maligne pour les lui donner et céder mes droits. Je lui dis le plus poliment possible que je désirais autant qu'elle de ne point vous éveiller et c'était à moi de rendre les clefs... Je comprends maintenant qu'il aurait été bien plus parfait de céder à cette sœur, jeune il est vrai, mais enfin plus ancienne que moi. Je ne le comprenais pas alors, aussi voulant absolument entrer à sa suite malgré elle qui poussait la porte pour m'empêcher de passer, bientôt le malheur que nous redoutions arriva : le bruit que nous faisions vous fit ouvrir les yeux... Alors, ma Mère, tout retomba sur moi, la pauvre sœur à laquelle j'avais résisté se mit à débiter tout un discours dont le font était ceci : C'est sœur Thérèse de l'Enfant Jésus qui a fait du bruit... mon Dieu, qu'elle est désagréable, etc. Moi qui sentais tout le contraire j'avais bien envie de me défendre, heureusement il me vint une idée lumineuse ; je me dis que certainement si je commençais à me justifier je n'allais pas pouvoir garder la paix de mon âme, je sentais aussi que je n'avais pas assez de vertu pour me laisser accuser sans rien dire, ma dernière planche de salut était donc la fuite. Aussitôt pensé aussitôt fait, je partis sans tambour ni trompette, laissant la sœur continuer son discours qui ressemblait aux imprécations de Camille contre Rome. Mon cœur battait si fort qu'il me fut impossible d'aller loin et je m'assis dans l'escalier pour jouir en paix des fruits de ma victoire. Ce n'était pas là de la bravoure, n'est-ce pas, Mère chérie, mais je crois cependant qu'il vaut mieux ne pas s'exposer au combat lorsque la défaite est certaine ? »

« Je me souviens d'un acte de charité que le Bon Dieu m'inspira de faire étant encore novice, c'était peu de chose, cependant notre Père qui voit dans le secret, qui regarde plus à l'intention qu'à la grandeur de l'action, m'en a déjà récompensée sans attendre l'autre vie. C'était du temps que St St Pierre (Sœur Saint-Pierre de Sainte-Thérèse) allait encore au chœur et au réfectoire. À l'oraison du soir elle était placée devant moi : 10 minutes avant 6 heures, il fallait qu'une sœur se dérange pour la conduire au réfectoire, car les infirmières avaient alors trop de malades pour venir / la chercher. Cela me coûtait beaucoup de me proposer pour rendre ce petit service, car je savais que ce n'était pas facile de contenter cette pauvre St St Pierre qui souffrait tant qu'elle n'aimait pas à changer de conductrice. Cependant je ne voulais pas manquer une si belle occasion d'exercer la charité, me souvenant que Jésus avait dit : Ce que vous ferez au plus petit des miens c'est à moi que vous l'aurez fait. Je m'offris donc bien humblement pour la conduire : ce ne fut pas sans mal que je parvins à faire accepter mes services ! Enfin je me mis à l'œuvre et j'avais tant de bonne volonté que je réussis parfaitement.

Chaque soir quand je voyais ma St St Pierre secouer son sablier, je savais que cela voulait dire : partons. C'est incroyable comme cela me coûtait de me déranger, surtout dans le commencement, je le faisais pourtant immédiatement et puis toute une cérémonie commençait. Il fallait remuer et porter le banc d'une certaine manière, surtout ne pas se presser, ensuite la promenade avait lieu. Il s'agissait de suivre la pauvre infirme en la soutenant par sa ceinture, je le faisais avec le plus de douceur qu'il m'était possible ; mais si par malheur elle faisait un faux pas, aussitôt il lui semblait que je la tenais mal et qu'elle allait tomber : “Ah mon Dieu, vous allez trop vite, j'vais m'briser.” Si j'essayais d'aller encore plus doucement : “Mais suivez-moi donc, je n'sens plus vot'main, vous m'avez lâchée, j'vais tomber, ah ! j'avais bien dit qu'vous étiez trop jeune pour me conduire.” Enfin nous arrivions sans accident au réfectoire : là survenaient d'autres difficultés, il s'agissait de faire asseoir St St Pierre et d'agir adroitement pour / ne pas la blesser, ensuite il fallait relever ses manches (encore d'une certaine manière), puis j'étais libre de m'en aller. Avec ses pauvres mains estropiées, elle arrangeait son pain dans son godet, comme elle pouvait. Je m'en aperçus bientôt et, chaque soir, je ne la quittai qu'après lui avoir encore rendu ce petit service. Comme elle ne me l'avait pas demandé, elle fut très touchée de mon attention et ce fut par ce moyen que je n'avais pas cherché exprès, que je gagnai tout à fait ses bonnes grâces et surtout (je l'ai su plus tard) parce que, après avoir coupé son pain, je lui faisais avant de m'en aller mon plus beau sourire. »


Lettre de Sainte Thérèse de Lisieux à Marie Guérin, Jeudi 30 mai 1889 :



Ma petite sœur chérie,

Tu as bien fait de m'écrire, j'ai tout compris... tout tout tout !...

Tu n'as pas fait l'ombre du mal, je sais si bien ce que sont ces sortes de tentations que je puis te l'assurer sans crainte, d'ailleurs Jésus me le dit au fond du cœur... Il faut mépriser toutes ces tentations, n'y faire aucune attention.

Faut-il te confier une chose qui m'a fait beaucoup de peine ?...

C'est que ma petite Marie a laissé ses communions... le jour de l'Ascension et le dernier jour du mois de Marie !... Oh ! que cela a fait de peine à Jésus !...

Il faut que le démon soit bien fin pour tromper ainsi une âme !... mais ne sais-tu pas, ma chérie, que c'est là tout le but de ses désirs. Il sait bien, le perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui voudrait être toute à Jésus, aussi n'essaye-t-il que de le lui faire croire. C'est déjà beaucoup pour lui de mettre le trouble dans cette âme, mais pour sa rage il faut autre chose, il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé, ne pouvant entrer dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure vide et sans maître !... Hélas ! que deviendra ce pauvre cœur ?... Quand le diable a réussi à éloigner une âme de la Ste Communion il a tout gagné... Et Jésus pleure !...

O ma chérie, pense donc que Jésus est là dans le tabernacle exprès pour toi, pour toi seule, il brûle du désir d'entrer dans ton cœur... va, n'écoute pas le démon, moque-toi de lui et vas sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour !...

Mais je t'entends dire : « Thérèse dit cela parce qu'elle ne sait pas... elle ne sait pas comme je le fais bien exprès... cela m'amuse... et puis je ne puis communier, puisque je crois faire un sacrilège, etc., etc., etc. » Si, ta pauvre petite Thérèse sait bien, je te dis qu'elle devine tout, elle t'assure que tu peux aller sans crainte recevoir ton seul ami véritable... Elle aussi a passé par le martyre du scrupule mais Jésus lui a fait la grâce de communier quand même, alors même qu'elle croyait avoir fait de grands péchés... eh bien ! je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen de se débarrasser du démon, car quand il voit qu'il perd son temps il vous laisse tranquille !...

Non, il est IMPOSSIBLE qu'un cœur « qui ne se repose qu'à la vue du tabernacle » offense Jésus au point de ne pouvoir le recevoir. Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au cœur c'est le manque de confiance !...

Petite Soeur, avant de recevoir ta lettre je pressentais tes angoisses, mon cœur était uni à ton cœur, cette nuit dans mon rêve je tâchais de te consoler, mais hélas ! je ne pouvais y réussir !... Je ne vais pas être plus heureuse aujourd'hui à moins que Jésus et la Ste Vierge me viennent en aide ; j'espère que mon désir va être réalisé et que le dernier jour de son mois, la Ste Vierge va guérir ma petite sœur chérie. Mais pour cela il faut prier, beaucoup prier, si tu pouvais mettre un cierge à Notre-Dame-des-Victoires... j'ai tant de confiance en elle ?...

Ton cœur est fait pour aimer Jésus, pour l'aimer passionnément, prie bien afin que les plus belles années de ta vie ne se passent pas en craintes chimériques.

Nous n'avons que les courts instants de notre vie pour aimer Jésus, le diable le sait bien, aussi tâche-t-il de la consumer en travaux inutiles...

Petite Sœur chérie, communie souvent, bien souvent... Voilà le seul remède si tu veux guérir, Jésus n'a pas mis pour rien cet attrait dans ton âme. (Je crois qu'il serait content si tu pouvais reprendre tes 2 Communions manquées, car alors la victoire du démon serait moins grande puisqu'il n'aurait pu réussir à éloigner Jésus de ton cœur). Ne crains pas d'aimer trop la Ste Vierge, jamais tu ne l'aimeras assez, et Jésus sera bien content puisque la Ste Vierge est sa Mère.

Adieu petite Sœur, pardonne mon brouillon que je ne puis même relire, le temps me manquant, embrasse pour moi tous les miens.

Sr Thérèse de l'Enfant Jésus.


Citation :


« La maladie dont je fus atteinte venait certainement du démon, furieux de l’entrée de Pauline au Carmel, il voulut se venger sur moi du tort que notre famille devait lui faire dans l'avenir, mais il ne savait pas que la douce Reine du Ciel veillait sur sa fragile petite fleur, qu'elle lui souriait du haut de son trône et s'apprêtait à faire cesser la tempête au moment où sa fleur devait se briser sans retour. »